Il y a de cela un moment, j'étais tombé sur une publication qui affirmait l'idée suivante : l'amour « doit être difficile ». En plus de m'étonner, ces mots m'ont mis mal à l'aise. Un détail supplémentaire n'a fait que renforcer mon sentiment. Les mots étaient écrits en majuscules, comme ceci :
L'AMOUR DOIT ÊTRE DIFFICILE.
Sans vouloir être exhaustif, j'aimerais proposer des pistes de réflexion permettant de nuancer une idée qui, exprimée si brièvement, en devient fausse et certainement dangereuse.
Quand l'amour paraît insolemment simple
Pour commencer, l'amour peut très bien être facile, étonnamment facile, insolemment facile ! Il paraît alors d'une évidence si déconcertante, que le seul effort demandé c'est... d'aimer.
Ce sentiment rare, délicieux, on le nomme le coup de foudre. Une expression qui pourrait être traduite en hébreu par le mot 'hen[footnote]. Le 'hen, c'est par exemple l'attrait puissant qui pousse les fiancés à vouloir se marier. Il se prolonge encore plusieurs semaines après la 'houpa[footnote], parfois même quelques mois, rarement davantage.
Or, ce 'hen provient directement de D.ieu, Qui le donne à l'homme gracieusement. Le 'hen ne s'explique pas, et n'en a d'ailleurs pas besoin. C'est un cadeau gratuit dont l'homme n'a qu'à profiter. Existe-t-il chose plus facile ?
L'amour d'hier, fulgurant, venait de D.ieu ; l'amour éternel doit venir de l'homme.
Mais le roi Salomon enseigne : « Mensonge que la grâce ! » (Michlei 31,30). Le mensonge ne peut pas durer éternellement, seule la vérité a cette vertu. Un beau jour, le 'hen disparaît. Tel un nuage éphémère, le « mensonge » s'est évanoui aussi subitement qu'il était apparu. De fait, on se rend bien compte que quelque chose a changé, que la fougue des débuts n'est plus, que le charme n'opère plus. Quand ce « beau jour » arrive, on réalise que pour s'inscrire dans la durée, le couple a besoin d'autre chose que de 'hen. L'amour d'hier, fulgurant, venait de D.ieu ; l'amour éternel doit venir de l'homme.
Évidemment, il vaut mieux savoir ceci avant le mariage plutôt qu'après. Car alors, la tentation existe d'être tenté d'assimiler la fin de cet état de grâce à la fin du couple., ni plus, ni moins. La chose n'est d'ailleurs pas rare.
La source historique de l'amour
Adam et 'Hava formèrent le premier couple de l'humanité. La Torah témoigne du fait qu'ils s'aimaient profondément. L'intensité de leur lien est condensée en un mot qui, apparemment, sort du registre affectif : Et l'homme connut 'Hava, sa femme (Berechith 4,1). Il la « connut », se contente de préciser la Torah.
Eh bien ! C'est justement cela, l'amour. La connaissance, cette connaissance qui engendre l'intérêt puis l'union. Prétendre que l'amour doit être difficile est donc inexact. Ce qui par contre pourrait s'avérer difficile, ce serait de s'attendre à l'amour, mais sans avoir préalablement misé sur la connaissance mutuelle.
Quand un homme et une femme se rencontrent, un pari implicite leur est donc proposé : apprendre à se connaître l'un, l'autre. Se laisser porter par le coup de foudre en pensant que celui-ci durera à jamais, n'est pas raisonnable. Il disparaîtra, telle est son essence. Telle est même sa fonction, pourrait-on dire.
Pourtant, si l'outil disparaît, le projet demeure, quant à lui. Mieux encore : si l'outil est utilisé au service du projet, il s'y confond et perdure par conséquent. Quand le 'hen est utilisé comme un tremplin pour atteindre le but du couple, se connaître, il devient plus qu'une émotion forte, grisante, mais inexorablement émoussée par le temps…
Pourquoi préfère-t-on un amour plus superficiel, mais aussi plus intense, auquel on pourrait goûter sans avoir à se poser trop de questions ? D'abord parce qu'une telle relation est source d'un plaisir immédiat. L'homme est avide de plaisir, il en a besoin. En descendant en ce monde imparfait, brut, saturé de mensonge et donc de souffrance, l'âme déchante. C'est qu'elle provient d'un monde où la vérité est pleinement perceptible, où la sérénité atteint son paroxysme. Quoi d'étonnant à ce qu'elle cherche à retrouver ici-bas le plaisir auquel elle était habituée là-haut ?
L'homme est notamment habité par deux forces puissantes : le cœur[footnote] et la raison. Ces forces lui sont indispensables. Pour lui être profitable, l'une doit cependant être soumise à l'autre : le cœur doit être soumis à la raison. Et si le cœur ne parle que de « grand amour », la raison penche davantage pour « l'amour en grand ».
Le Talmud compare l'être humain à un monde. La rencontre entre un homme et une femme, c'est la rencontre de deux univers. Parfois, on craint que le temps passé à chercher les trésors enfouis chez l'autre finisse par chasser l'amour. On craint un processus qui finira par s'essouffler, à l'image d'un corps fatigué après un effort prolongé. Alors, on préfère s'aimer superficiellement, en misant surtout sur la charge émotionnelle, et profiter de l'instant présent sans se soucier du lendemain.
La rencontre entre un homme et une femme, c'est la rencontre entre deux univers.
Toutefois, cette crainte est infondée. Je tâcherai d'en expliquer la raison dans la prochaine partie, au travers d'une anecdote personnelle.
