Quand les parents effacent la mémoire de leur enfant (2/3)

Quand les parents effacent la mémoire de leur enfant (2/3)
Photo par Camille Brodard

Du fait que l'enfant manque encore de da'ath, il puise cette spécificité humaine essentielle chez ses parents. Elle ne lui est pas exactement transmise, en fait elle lui est indiquée. Quasiment déclarée.

En somme, le parent démontre et l'enfant reproduit.

Car pour l'enfant, nous le soulignions en première partie, le parent a raison. Cette vérité est tellement ancrée qu'elle ne nécessite aucune justification. Et quand on dit que l'enfant aime instinctivement ses parents, il faut comprendre que l'essence même de son amour réside justement dans la confiance absolue qu'il leur voue.

Ainsi, les blessures psychiques que les parents occasionneraient à leur enfant, sciemment ou non, sont potentiellement possibles à cause de sa dépendance intellectuelle et émotionnelle. « Tout ce que papa et maman font, pensent ou disent est vrai, parce que c'est papa et maman », comprend l'enfant en son for intérieur.

boy in red and blue striped sweater and blue denim jeans running on road during daytime
Même quand il joue, l'enfant est vrai. Photo par Nathan Dumlao

Or, l'enfant a ceci de particulier qu'il aspire à la vérité. Aussi absorbe-t-il avidement l'éducation parentale, qu'elle soit douce comme le miel ou amère comme l'absinthe. Sans distinction, sans da'ath pour utiliser encore ce précieux terme, l'enfant accueille pareillement encouragement et punition. Il les comprend comme la vie dans son expression la plus évidente, la plus indiscutable.

L'enfant absorbe avidement l'éducation parentale, qu'elle soit douce ou amère.

Le principe peut avoir une portée insoupçonnée.

Si l'enfant entend par exemple ses parents l'inciter à partager son goûter avec un camarade, il le fera avec conviction. S'il les voit se moquer des gens obèses, il s'en moquera à son tour sans remords, puisqu'à ses yeux telle va la vie. À la maison, c'est encore plus vérifiable. L'enfant ne perçoit pas l'anormalité dans la vulgarité verbale, l'injustice, l'agressivité ou encore la brimade[footnote]. Il supporte, il accepte les violences de toutes sortes, jusqu'aux attouchements, jusqu'à l'inceste.

En écrivant qu'il les accepte, nous signifions qu'il les intègre dans sa psyché. Bien malgré lui, elles se mêlent à ses représentations intimes du réel. Par le biais d'un processus invisible et complexe échappant aux parents ainsi qu'à lui-même, l'enfant établit un lien solide entre les sensations imposées par ses parents et sa propre nature. Un enfant battu, par exemple, devient un adulte dans le paysage duquel la violence et la coercition s'inscrivent comme allant de soi. Pour lui, ce sont des données de départ, des élément « structurels » fondamentaux.

Un enfant battu devient un adulte dans le paysage duquel la violence s'inscrit comme allant de soi.

Bien entendu, l'enfant ne trouve pas agréable ce que ses parents (ou la société au sens large) lui infligent de pire ! Il pourra éventuellement réagir en opposant de la colère, de la mélancolie, du mutisme, une fuite[footnote], un état d'hyperactivité[footnote], parfois même une forme d'autisme[footnote]. Dans les cas les plus sévères, il développe hélas des tendances ou des conduites suicidaires.

Non, tout ne lui paraît pas agréable, loin de là. Tout lui paraît normal, ce qui est sensiblement différent.

Et c'est ainsi que l'enfant absorbe toutes sortes d'émotions, d'implicites, de repères pertinents ou incohérents, de règles. L'aura parentale peut se révéler indifféremment motrice ou toxique : l'enfant n'en a guère conscience. Avec certitude, il ingère et intègre, tout en devenant ce qu'il a consommé sans même y penser.

Ce qui d'ailleurs permet l'emprise familiale.
Nous pensons par exemple à la fugue (fuite physique) ou à l'absence d'attention (fuite psychique), mais nous n'allons pas tarder à évoquer une fuite autrement plus radicale.
Qui ressemble beaucoup à une fuite psychique, puisqu'au travers de cet état l'enfant est partout, et donc nulle part. Il se disperse, il se perd et, en quelque sorte, il disparaît.
Nous ne parlons bien sûr pas des parents qui ont la tâche douloureuse, mais ô combien méritante, d'élever un enfant né autiste (pour lequel l'épreuve est d'ailleurs sans aucun doute bien plus difficile). Nous parlons des cas où le repli sur soi est si sévère qu'il s'apparente à une forme d'autisme. Il s'agit alors d'une réaction de survie inconsciente et extrême, par laquelle le sujet se coupe psychiquement d'un monde dont il aspire uniquement à se protéger.

David Benkoel

David Benkoel

Analyste et écrivain, je partage sur ce Blog mon goût pour la psychologie et pour le développement personnel.

Super ! Vous vous êtes inscrit(e) avec succès.

Content de vous retrouver ! Vous vous êtes connecté(e) avec succès.

Vous vous êtes abonné(e) avec succès à Derrière le Miroir.

Un lien de connexion vous a été envoyé par email.

Vos informations de facturation ont été mises à jour.

Vos informations de facturation n'ont pas été mises à jour.