L'addiction, ce mouvement qui tue à petit feu (3/3)

L'addiction, ce mouvement qui tue à petit feu (3/3)
Photo par Bermix Studio

Une autre question coule de source. La poursuite effrénée sur laquelle nous terminions la première partie rend-elle l'homme heureux pour autant ? En d'autres termes, l'addiction lui profite-t-elle ?

Nous connaissons tous la réponse. Une personne sous addiction est une personne qui vit un enfer. Il n'est même pas question qu'elle ne soit pas particulièrement heureuse : elle est positivement malheureuse ! La raison est assez simple. Les plaisirs de toutes sortes (prise de tabac, d'alcool, de médicaments ou de drogues, achats compulsifs, obsessions et perversions diverses, jeu, nourriture, sports de l'extrême[footnote]), lorsqu'ils deviennent subjectivement indispensables à l'existence, renvoient une image de soi peu flatteuse. Pour avoir le droit d'éprouver un sentiment aussi fondamental que celui de se sentir être, le sujet accepte d'être esclave de son addiction.

Une personne sous addiction est une personne qui vit un enfer.

Voici une définition humiliante, et qui inflige un camouflet définitif à l'amour-propre. Elle fait de l'homme, aux capacités pourtant grandioses, une sorte d'infirme pitoyable. Une créature détestable à ses propres yeux.

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La honte d'être soi. Photo par Mattia

Une raison supplémentaire pour laquelle l'addiction pose plus de problèmes qu'elle n'en résout réside dans sa fonction même : permettre d'oublier (fugitivement) que l'on se sent malheureux, car trop éprouvé par la vie[footnote]. Mais quand on ne vit que pour oublier, vit-on encore ?

Quand on ne vit que pour oublier, vit-on encore ?

Si l'oubli est nécessaire, parfois profitable, l'existence ne se définit pas par ce que l'on en retire de sa mémoire. L'oubli, c'est l'absence d'accès à une partie de l'histoire individuelle, c'est la coupure avec la réalité. Or, l'existence repose essentiellement sur les liens, non sur les coupures. La coupure est au contraire, de façon générale, un phénomène capable de saper à la fois la volonté, les moyens investis pour que celle-ci se concrétise, et la satisfaction finale qui en résulte.

Vivre pour oublier, c'est donc vivre dans la coupure… un paradoxe insoluble.

Proposons une dernière idée qui pourra, nous l'espérons, pousser les personnes victimes d'addictions à désirer en sortir définitivement.

Une autre caractéristique élémentaire de la vie est le mouvement. Mouvement du corps, mouvement des idées, mouvement des émotions, la vie refuse l’immobilisme. Or, et ceci est particulièrement perceptible dans les cas d'emprise ou de harcèlement, il peut arriver qu'un individu soit relégué au rang d'objet. Dans la relation sociale à laquelle il participe sans le moindre épanouissement, le voici privé des moyens d'exprimer ce qu'il est, ce qu'il a, ce qu'il veut. Sa volonté se désolidarise de son être, si bien que la vie devient purement fonctionnelle. En l'occurrence, sa fonction est fixée par l'autre qui l'utilise comme un outil et ainsi le persécute ou, pire, l'annihile.

En termes cliniques, on pourrait presque parler d'objectivation. L'objectivation, c'est le processus par lequel un objet psychique intime (pensée, émotion, fantasme par exemple) est transformé en une représentation tangible, donc extérieure à soi. Quand une personne reporte à, ou sur un objet extérieur une perception jusque-là vécue intimement, on dit qu'il objective. Grâce au support d'un objet concret, il confère à sa subjectivité une apparence de réalité objective.

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L'objectivation, projection sur le monde des mouvements psychiques intimes. Photo par Ioana Cristiana

Derrière cette définition un peu technique, on perçoit déjà le danger latent. Car dès le moment où vous êtes objectivé, vous devenez le vulgaire support virtuel d'une réalité tierce, qui ne vous appartient pas. Vous devenez un écran sur lequel est projeté ce qui ne vous concerne pas, à votre insu qui plus est. Vous devenez un objet.

Eh bien, si l'on pouvait assimiler le processus d'addiction à un être vivant et pensant, on pourrait presque dire que l'addiction tend à objectiver le sujet qui en souffre. Celui-ci devient le rouage d'une sorte de machine infernale qui l'use, le consomme et le consume.

Scène du film Les Temps Moderne, de Charlie Chaplin.

En succombant à l'addiction, le sujet renonce nécessairement au mouvement de la vie. En tant qu'objet qui ne peut que réaliser scrupuleusement une volonté dictée de l'extérieur[footnote], il devient inerte, statique. Il est réduit à un rouage de cette machine de destruction. Le résultat, quel est-il ? Une pulsion, la pulsion addictive bien sûr, qui devient tout à la fois la cause, le moteur et l'effet de l'addiction. L'addiction se regénère à l'infini. Elle autoalimente sa logique mortifère.

L'addiction se regénère à l'infini. Elle autoalimente sa logique mortifère.

Tel est le piège dans lequel l'addiction enferme l'homme. Extérieurement, l'addiction semble induire un mouvement passionné que sa victime aimerait considérer comme le mouvement de la vie. C'est un mensonge tragique. La vérité est strictement opposée. Le mouvement qu'une victime d'addiction perçoit existe en effet, mais il n'est déjà plus le sien puisqu'elle ne le maîtrise pas. Elle le subit.

L'addiction fait renoncer sa victime à ce qu'elle a de plus précieux, la vie, dans une fuite en avant éperdue qui la tue à petit feu.

Les comportements dangereux, en tant que potentiellement auto-destructeurs, sont susceptibles de donner lieu au sentiment grisant d'avoir échappé à la mort.
Voir dernière note de la partie précédente de cet article.
Et surtout pas sa propre volonté.

David Benkoel

David Benkoel

Analyste et écrivain, je partage sur ce Blog mon goût pour la psychologie et pour le développement personnel.

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