Addiction : le mot est lâché. Et à ce stade, nous pouvons déjà isoler deux raisons susceptibles de la favoriser.
D'abord, l'homme (au sens de l'âme, qui en est sa partie la plus vivante) est souvent en butte au doute. Il a quitté le monde de Vérité pour descendre dans des ténèbres proprement effrayantes où le mensonge est roi, où le Mal se donne en spectacle effrontément, où il assiste, révolté mais impuissant, à la quiétude des impies ainsi qu'aux épreuves des justes[footnote]. Quelle déchéance ! Pour renouer avec son bonheur passé, il sera tenté d'approcher ce qui procure un plaisir immédiat. C'est l'addiction.
Ensuite, nous l'avons répété, le plaisir physique a ceci de particulier qu'il ne dure pas. Certaines croyances parlent de déification, idée absurde selon laquelle D.ieu aurait investi un être de chair et de sang. Mais la matière ne saurait contenir, donc délimiter l'Essence divine, sublime, infinie. La créature ne saurait contenir le Créateur. C'est pourquoi rien en ce monde ne dure éternellement. Tout y connaît un début et une fin... y compris le plaisir.
Or, essayons d'imaginer ce que la notion de fin représente pour l'âme, appelée une part de D.ieu là-haut[footnote], un souffle de vie[footnote] ou encore qualifiée de pure, taillée dans le dessous du Trône de gloire[footnote]. Nous admettrons facilement que l'idée même de fin est violemment étrangère à l'âme, encore comparée à une lumière grâce à laquelle le fœtus scrute et voit de l'extrémité de l'univers à l'(autre) extrémité[footnote], c'est-à-dire à une vision au-delà de toute limite.
Et cette âme dont nous parlons se satisferait d'un plaisir sans lendemain ? L'addiction apparaît dès lors comme un pis-aller permettant d'augmenter l'expérience du plaisir, sinon dans la durée, du moins dans la fréquence.
L'addiction apparaît comme un pis-aller permettant d'augmenter l'expérience du plaisir.
Nous comprenons qu'en ce monde, l'homme soit tenté de s'abandonner aux plaisirs, comme pour oublier la grossièreté d'un endroit qui lui ressemble tellement peu. Si, en plus de cela, l'homme y expérimente des souffrances, des petits tracas quotidiens aux tragédies comme nous l'écrivions, il pourra aller jusqu'à se demander : « Comment admettre les vicissitudes de la vie, sans avoir recours aux paradis artificiels ? »[footnote].
Même si elle ne doit pas justifier tous les excès, cette question a du sens. Quand l'homme souffre, son âme ressent l'absence cruelle de la plénitude qui était son lot quotidien dans les mondes d'en haut. Privée de l'air qui la fait vivre, n'est-il pas normal qu'elle se débatte, qu'elle lutte pour respirer ?