Car l'homme a été engendré pour la peine[footnote]. Qu'on le veuille ou non, telle est la condition humaine.
Notre monde est un monde de réparation, et toute réparation exige une certaine peine[footnote]. Pour perdre du poids, il faut souffrir. Pour vaincre sa timidité, il faut souffrir. Pour décrocher un diplôme, il faut souffrir. Pour réhabiliter une réputation brisée, il faut souffrir. Pour renouer le lien avec un ami trop longtemps délaissé, il faut souffrir. Pour revivre après un traumatisme, il faut souffrir, après avoir déjà tant souffert.

Si, donc, toute amélioration passe par une souffrance, même une expérience ne visant aucune amélioration particulière, peut aussi être génératrice de souffrance. Pourquoi ? Parce qu'elle prend place dans ce monde et que ce monde, dans la forme que nous lui connaissons, est le berceau même de la souffrance.
Et c'est ainsi que tel jour nous jouissons de toutes nos facultés mentales, tel autre jour la mémoire nous trahit ou la raison nous fuit. Un jour, nous atteignons une position sociale convoitée ; le lendemain, elle profite à quelqu'un d'autre. Un jour, nous jouissons d'un bien précieux ; le lendemain, nous l'égarons. Un jour, nous apprécions un moment avec un proche ; le lendemain, nous nous tourmentons de son absence.
Ce tableau paraît bien pessimiste…
Pourtant, il ne l'est pas exagérément. Il n'est pas non plus une invitation à considérer l'existence comme une longue période de souffrance résignée. Ce tableau témoigne plutôt d'un des aspects les plus fondamentaux de ce monde, où tout ce qui prend forme doit disparaître, où tout ce qui naît doit mourir, où tout échappe à l'homme, son temps y compris, où le bonheur, sans être évidemment impossible, n'est qu'éphémère. Comme l'enseigne Chlomo haMelekh, ici-bas même dans le rire le cœur peut souffrir, et la joie elle-même finit en tristesse[footnote].

À la réflexion, le bonheur dure si peu et paraît si fragile, qu'une fois passé, on se demande s'il a vraiment été.
On en viendrait presque à douter que ce monde fût réel tellement le Bien, parfois acquis après tant d'efforts, n'y a apparemment pas sa place. On y expérimente quantité de situations, de rencontres, de projets, d'espoirs, de joies authentiques, d'avancées tangibles, entrecoupés par cette peine qui semble suivre l'homme comme son ombre. Même celui qui se targue de mener une existence heureuse connaît son lot de souffrances, entre tracas quotidiens et tragédies.
Même celui qui se targue de mener une existence heureuse connaît son lot de souffrances.
Or, une telle condition est… inacceptable. Elle est même révoltante, car d'un autre côté, l'homme n'a été créé que pour le plaisir. Non pas le plaisir des sens. La fugacité de ce plaisir-ci est, somme toute, la preuve de son inanité. La preuve de son inadéquation avec d'autres buts, dignes quant à eux d'être poursuivis. Nous parlons là du plaisir ultime. Du sentiment de plénitude totale que l'on ressent face à la Vérité absolue. Ce que nos Maîtres appellent se délecter de D.ieu et jouir de Sa splendeur[footnote]. C'est pour ce plaisir que l'homme fut créé.
Oui, pour être digne de ce nom, pour être complet, disons même pour être réel, le plaisir doit être éternel. Il ne peut donc être que lié à D.ieu. Un plaisir matériel, un plaisir de ce monde, du fait qu'il doive cesser un jour et finit en tristesse, peut-il encore s'appeler « plaisir » ? Est-ce donc cela, le bonheur ? Une joie brève, condamnée de surcroît à provoquer l'amertume ? Assurément, non.
En descendant en ce monde, l'âme qui anime l'homme est prise dans un dilemme terrible : elle ne peut être heureuse qu'avec des plaisirs qui lui ressemblent (des plaisirs spirituels). Or, la voici projetée dans un environnement qui propose une addiction aux plaisirs physiques.