La neutralité bienveillante l'est-elle toujours ?

La neutralité bienveillante l'est-elle toujours ?
Photo par Allec Gomes

Si vous avez déjà entrepris une thérapie, vous avez dû entendre parler de neutralité bienveillante. Posture obligée pour le praticien, elle est revendiquée comme l'une des conditions nécessaires à l'efficacité du dialogue thérapeutique.

La neutralité bienveillante vise une triple posture :

  • une attitude globalement empathique ;
  • une attention sincère ;
  • une neutralité de jugement.

Autant que faire se peut du moins, connaissant ce qu'est la nature humaine[footnote]...

Notre propos n'est pas de critiquer une telle posture. Sa définition suffit à en exprimer l'objectif noble : aider le patient. La neutralité bienveillante n'est d'ailleurs pas seulement une nécessité vis-à-vis du patient. Elle profite également au thérapeute. En mettant en place ce désengagement subtil, non seulement le thérapeute augmente sa faculté d'écoute et d'observation, mais il se préserve tout simplement.

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Le divan, emblème et outil de la psychanalyse. Photo par Marc-Olivier Paquin

Aussi, notre propos, quel est-il ? En signaler une certaine limite. Nous irions même jusqu'à dire une certaine dérive.

En somme, un bon thérapeute saurait mettre son patient à distance, l'isolant d'une certaine manière[footnote]. La neutralité bienveillante interdit au praticien tout conseil ou orientation. Au patient de chercher, à lui de trouver son chemin.

Si vous soumettiez de telles directives à monsieur ou madame tout-le-monde, il est à parier que vous récolteriez des réactions indignées. Le bon sens, entendrait-on certainement, ne pourrait qualifier de bienveillantes ce genre d'attitudes !

On entendrait aussi probablement parler de fuite, si ce n'est de couardise. Ainsi donc, l'ambition du thérapeute serait d'aider son patient, de le soutenir, tout en se soustrayant prudemment à sa souffrance ? Pour puiser un exemple dans la vie militaire, où a-t-on vu deux compagnons d'armes que le destin aurait mis ensemble sur le champ de bataille, s'entraider et se soutenir sans une implication totale ? Imaginez la tête d'un soldat blessé gisant à terre, appelant au secours, et auquel un camarade dirait : « D'accord pour t'emmener jusqu'à l'infirmerie, mais pas question de salir mon treillis en te portant sur le dos ! ».

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Photo par nikko macaspac

Toutes proportions gardées bien sûr, telle est la dérive à laquelle nous pensons lorsque la neutralité bienveillante s'est installée dans une perspective purement technique, sans âme ni conscience.

Pour le dire en deux mots, un thérapeute qui espère ne pas souffrir au contact de ses patients et de leurs contradictions est peut-être apte à écouter, à analyser et à conseiller. Pour autant, sa légitimité à soigner reste discutable.

La légitimité à soigner d'un thérapeute qui espère ne pas souffrir reste discutable.

En effet, soigner demande de connaître. Mais connaître quoi au juste ? Une connaissance théorique ne peut suffire. Il faut la connaissance de l'être sensible qui, séance après séance se dévoile au thérapeute ainsi qu'à lui-même. Cet être qui parfois confirme la toute-puissante théorie et parfois aussi l'infirme, l'aidant d'ailleurs en cela à évoluer. Or, la connaissance ne va pas sans une forme d'union avec ce qui en est l'objet. Quand l'objet est en fait un être humain, il n'y a pas d'autre choix pour le thérapeute que de mettre sa propre humanité à contribution.

C'est ce que nous entendions en employant le verbe « souffrir ». Utiliser son humanité pour comprendre, c'est par exemple exposer sa sensibilité, se mettre à la place du sujet en proie aux doutes et aux désordres de toutes sortes, vivre sa détresse pour mieux se projeter et l'accompagner[footnote] dans le déroulement de la cure. Et ceci ne peut advenir sans heurts. C'est, pour ainsi dire, un mal nécessaire.

Sans la moindre implication humaine, qu'advient-il ?

En pareil cas, la thérapie s'assimile alors à un vaudeville où trois acteurs ne cessent de se croiser : le thérapeute, le patient, le symptôme. Presque un jeu social, mais sans la dimension profondément, délicieusement sociale. À l'extrême, un thérapeute assistant au naufrage de son patient sans intervenir, au nom de la neutralité bienveillante, ne serait que l'artisan du malheur de celui ou de celle dont il a pourtant acquis la confiance. Il est coupable et cruel de ne pas influencer positivement une personne en perdition, si l'on en a la possibilité.

Il est coupable et cruel de ne pas influencer positivement une personne en perdition.

Comme nous le soulignions en début d'article, il existe une forme de neutralité éminemment bienveillante. Il s'agit de la posture consistant à éviter d'user de sa position de thérapeute, lequel, en tant que sachant, donnerait à voir prématurément au patient le résultat d'un travail qu'il n'aurait dès lors pas eu le temps d'accomplir. Le patient doit découvrir par lui-même les vérités qu'il contient. C'est son privilège, c'est sa fierté, c'est sa victoire.

Ce qui révèle au passage la nécessité, pour le thérapeute, d'une construction de soi solide et permanente.
Intellectuellement et émotionnellement s'entend.
Au sens très littéral d'être en phase avec lui, avec sa propre évolution psychique.

David Benkoel

David Benkoel

Analyste et écrivain, je partage sur ce Blog mon goût pour la psychologie et pour le développement personnel.

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