La valeur d’un acte dépend de la part personnelle que l’on y apporte. Cette idée essentielle, Rabbi Bounam de Peschiskha tenait à ce que chaque étudiant de sa Yechiva[footnote] en ait conscience. Pour ce faire, il racontait invariablement la même histoire à chaque nouvel élève.
La valeur d’un acte dépend de la part personnelle que l’on y apporte.
À Cracovie vivait un homme du nom de Reb Eiziq, fils de Rabbi Yeqel. C’était un Juif au cœur simple et qui vivait modestement.
Une nuit, Reb Eiziq entendit en rêve une voix qui lui intimait de se rendre à Prague. Là-bas, se trouvait soi-disant un trésor enfoui sous un pont, face au palais royal.
— Va et prends le trésor ! répétait la voix.
Au réveil, Reb Eiziq était perdu dans ses pensées.
— Un trésor à Prague ? Ce serait la fin de ma misère ! murmura-t-il.
Puis il oublia ce qui, après tout, n’était qu’un songe.
Mais le rêve se répéta les nuits suivantes, si bien que Reb Eiziq commença à y attacher de l’importance. Et un matin, sa décision fut prise. Il irait à Prague.
Le voyage fut long et laborieux.
Parvenu à destination, malgré sa fatigue, Reb Eiziq se mit en quête du fameux palais. Sur les indications des passants, il trouva le bâtiment et se mit à en faire le tour. Quelle ne fut pas sa surprise quand il avisa le pont de son rêve ! Le cœur battant, il se dirigea vers le pont tout en regardant çà et là, dans l’espoir naïf d’apercevoir un objet précieux.
Pendant ce temps, des soldats faisaient leur ronde. Leur capitaine avait remarqué les allées et venues suspectes de Reb Eiziq.
— Avez-vous perdu quelque chose, monsieur ?
— C'est que... bredouilla Reb Eiziq. Voilà, ceci vous paraîtra certainement farfelu : j’ai fait un rêve dans lequel une voix me parlait. Cette voix me disait qu’ici même, près du pont, un trésor était enterré. J’ai voyagé afin de me rendre compte si… enfin, vous comprenez, acheva-t-il de plus en plus confus.
— Mon pauvre ami ! s’esclaffa le capitaine. Si l'on devait prendre tous nos rêves au sérieux, on n’en finirait plus. Tenez, figurez-vous que l’autre nuit, j’ai moi-même rêvé d’un habitant de Cracovie. Quel était son nom déjà ? Ah ! Je me souviens. Son nom était Eiziq, et son père se nommait Yeqel. Eh bien ! Dans sa propre maison, sous le fourneau, un trésor était enfoui !
— Vraiment ? demanda Reb Eiziq en s’efforçant de dissimuler sa surprise.
— Comme je vous le dis ! Et voulez-vous savoir le plus cocasse ? Ce pauvre Eiziq n’en avait même pas conscience. Un rêve absurde, vous dis-je. De vous à moi, cher monsieur : me croyez-vous assez crédule pour voyager jusqu’à Cracovie où tout le monde s’appelle soit Eiziq, soit Yeqel, pour creuser un trou sous le fourneau d’un homme imaginaire ?
Reb Eiziq ne resta pas plus longtemps à Prague.
Aussitôt rentré chez lui, il écarta vivement son fourneau, se saisit d’une pioche et creusa avec ardeur. Quand la pointe de l’outil heurta un objet dur, il sentit son cœur défaillir. Il se jeta au sol et continua à creuser à mains nues pour enfin extirper un coffre. En l’ouvrant, il découvrit un trésor.
Rabbi Bounam de Peschiskha disait alors au nouvel élève :
Grave cette histoire en ton cœur et médites-y souvent. Car il existe un trésor fabuleux que tu ne trouveras ni chez tes camarades, ni chez moi. Ce trésor, c’est en toi qu’il repose.
Nous ressemblons tous un peu à Reb Eiziq, prêtant volontiers attention à ces voix qui nous vantent mille merveilles pourtant fort lointaines. Des voix qui nous éloignent de notre propre personne. Si nous acceptions seulement de mesurer nos richesses personnelles au lieu d’écouter ces voix, combien de temps, combien d’énergie seraient sauvés ?
